Dans ma série Désordres et Réflections, des motifs chaotiques retravaillés par la symétrie créaient un espace à l'ordonnance purement imaginaire.
Le procédé de symétrisation faisait parfois apparaître, près de l'axe, de petites figures d'elfes plus ou moins grimaçants; j'essayais de les éviter, parce que leur prégnance perturbait la perception de l'espace créé, qui était le but essentiel de cette démarche.
Je n'ai alors fait qu'effleurer le plaisir que pouvait donner la transformation de sens opérée par la symétrie sur l'image originale.
Mais plus tard j'ai repris l'exploration de cet écosystème de monstres et de diablotins.
Moins sensible désormais à l'aspect de création d'espaces décalés par rapport à l'original, je me suis attaché à arpenter l'écart entre la figuration originale de la photo, et la figuration bizarre produite par la symétrisation. Cet espace est celui de l'image en tant qu'être concret, où les traits et les couleurs ont une vie indépendante de la chose perçue comme motif.
Le déplacement de sens est semblable à celui de la métaphore; d'où le nom que j'ai choisi, à une lettre près simile (métaphore en anglais)
On pourrait croire que l'objet de ce travail est une belle galerie de trolls grimaçants et qu'il relève d'un goût pervers pour la laideur que peu de spectateurs partageront. Mais là n'est pas du tout l'essentiel. En réalité mon plaisir vient d'un parcours dans l'espace des valeurs abstraites de la photo, entre deux figurations, celle des choses photographiées et celle des être fascinants que la symétrie fait naître. Ce qui m'intéresse dans la symétrie, c'est son pouvoir singulier de création imaginaire, dont on connaît les manifestations dans de nombreuses expériences perceptives.
Une des plus connues est le test de Rorschach. Il est remarquable que dans ces taches informes, ce soit le fait de les disposer symétriquement qui suscite l'efflorescence des interprétations. Et ce n'est pas seulement la ressemblance des taches aux êtres vivants symétriques qui opère. Par exemple un des danseurs vus dans la planche III existerait dans la demi-planche, mais sans doute n'y serait-il pas aperçu aussi spontanément. |
Je ne suis donc pas un ravi de la crèche de la symétrie, et si je la mets en scène, c'est moins pour ce qu'elle crée que ce qu'elle efface : l'apparition du visage du troll compromet la perception de la figure originale, et donne une vie paradoxale aux composantes formelles de l'image.L'effet de sens est d'autant plus fort que le motif original est plus désorganisé.
Parmi les motifs qui se prêtent à ce jeu, une place particulière est à donner aux statues de bronze et j'ai donné un développement particulier à la série des Provinces autour de l'arche du Cinquantenaire de Bruxelles.
Après les bronzes, d'autres motifs sculpturaux transormés par la symétrie :
La logique architectonique est elle aussi susceptible de se faire complètement occulter par la fécondité imaginaire de la symétrie.
Des architectures plus ou moins banales ou anonymes, vernaculaires :
Une petite série d'images est consacrée aux ossatures d'acier :
A une plus petite échelle, d'autres ordonnances plus ou moins raisonnées en acier :
L'organisation rigoureuse des machines se prête elle aussi à la subversion par la symétrie :
Parmi les machines, j'ai aimé la belle collection du musée de l'indutrie minière Zollverein à Essen.
Nous savons tous que l'avant des autos ressemble à un visage. Le défi ici a été de traiter ces images de façon à ce que cette physionomie soit bouleversée, et que tous les organes de ces visages soient transbahutés.
L'architecture en préparation, telle qu'elle s'incarne dans les chantiers :
Les échafaudages bachés des chantiers forment des motifs susceptibles de tranformations intéressantes :
Une forme d'art susceptible de transformation symétrisante, les intervention dans les rues, sur les murs :
Et dans la catégorie de l'informe transfiguré par la symétrie, il y a toutes ces choses qui traînent sur les trottoirs et sur les murs.
J'aurais pu appeler cette section "Hommage à Jules César Vanini". Contemporain de Giordano Bruno, comme lui il fut brûlé comme hérétique parce qu'il refusait l'ordonnance hiérarchique de l'univers prêchée par l'Eglise. Il reconnaissait la grandeur de Dieu dans la contemplation d'une motte de terre là où d'autres ne la reconnaissaient que dans la contemplation du firmament. A son procès où il était accusé de corrompre la jeunesse par des dogmes nouveaux. Vanini aperçu par hasard à terre une paille, il la ramassa, et la montrant aux juges : « Cette paille, dit-il, me force à croire qu’il y a un Dieu.»
Un chaos susceptible de transformation symétrique est celui des ruines :
Les ruines désorganisées des démolitions :
Les ruines ordinaires de bâtiments décrépis :
Les ruines antiques :
Les paysages urbains :
Et les paysages naturels :
Dans la nature notre regard se porte sur ces autres éléments organisés que sont les pierres :
Les formations rocheuses singulières du Joshua Tree Park en Califormie m'ont semblé mériter un traitement particulier :
A l'opposé des pierres, la nature nous offre d'autres motifs évanescents :
Et les formes de l'eau peuvent aussi être créées par l'homme.
Notre regard symétrisant transforme aussi les arbres, leurs noeuds, leurs racines :
Et, à une échelle moindre, les feuilles et les fleurs :
... avec une petite série inspirée par une azalée dans mon jardin :