Voyages et Rencontres (texte étendu)

Les associations synesthésiques entre mots et couleurs de la synesthésie permettent d'échapper aux effets trop prévisible des préférences esthétiques.

Dans les "autoportraits..." la composition est très simple : quatre carrés diversement colorés. Ici, deux noms se combinent par superposition, et forment une figure centrale, alors que le fond est dévolu à une représentation à caractère plus naturaliste.

Prenons par exemple, la combinaison des noms Hérodote et Thucydide- les deux pères fondateurs de l'Histoire:


Hérodote


et


Thucydide

Les teintes de ces deux noms sont combinées pour former le motif central. La répartition des teintes se fait selon des dosages variables : -3/0, 2/1, 1/2, 0/3-. Les quatre possibilités se distribuent suivant une règle représentable par une variante noir et blanc des dessins chaotiques déjà expérimentés pour les fonds de mes synesthésies.

Le dessin chaotique qui répartit la densité de chacun des deux noms originaux dans le résultat final est la partie centrale d'un dessin plus étendu. Si on représente l'intégralité de cette matrice autour du nom composite, on obtint un rapport figure/fond qui concerne uniquement les couleurs.

Le choix des noms à accoupler peut être dicté par des critères variables, entre la détermination esthétique et sans signification raisonnable, ou le rapport symboliquement pertinent, mais à effet esthétique imprévisible.

Nestor Burma à la Côte d'Azur

C'est sur base d'un critère esthétique qu'est proposée la combinaison de


Nestor Burma


et


Côte d'Azur

Les couleurs de ces deux noms sont à peu près parfaitement symétriques, ce qui me donne à espérer un résultat équilibré au niveau de leur combinaison. La figure centrale faite de la combinaison des deux noms a le même format que les tableaux de la série La Couleur des Noms, c'est-à-dire 40x40cm . L'ensemble du tableau, avec le fond, fait 80x80cm. Malgré les ressemblances, les teintes exacte diffèrent entre les deux noms. La combinaison produit donc 16 couleurs :

Le fond sera une évocation figurative, par exemple ici, du référent de 'Côte d'Azur'. Mimétisme chromatique et ébauche de figuration spatiale: la division du fond en deux zones superposées par une horizontale est un rudiment de figuration spatiale; c'est, élémentairement, un paysage.


Nestor Burma à la Côte d'Azur n°1.
Acrylique sur toile de lin sur panneau 80cmx80cm. Juin 2002.

Une deuxième version de ce thème accentue la référence figurative par une amorce de perspective : la dimension des éléments de camouflage pour le ciel est plus petite, et il y a un effet de recul relatif. La différenciation entre tons froids et tons chauds va dans le même sens.


Nestor Burma à la Côte d'Azur n°2.
Acrylique sur toile de lin sur panneau 80cmx80cm. Juillet 2002.

Entre l’idée du tableau et sa réalisation, l’art construit s’aménage une temps de réflexion. Méfiance sans doute vis-à-vis des effets de séduction du hasard et du désordre, des gestes et des matières qu’exploitent les praticiens de l’expressionnisme abstrait. Dans ma démarche telle que je la décris plus haut, le dessin et la couleur ne se placent pas au même rang dans cette temporisation voulue : si le dessin est déterminé lorsque j’aborde la toile, la couleur ne prend son aspect définitif qu'au terme de minutieuses mises au point par essais et erreurs sur la toile même.

Cependant le choix des couleurs, dans ses grandes lignes, est fait sur des modèles réduit de la toile, à l'ordinateur. La disposition de ces esquisses est montrée ailleurs, dans la série Matrices d'Esquisses.

Hernan Cortès et Montezuma

Dans une autre proposition, les noms sont combinés sur base d'une connexion historique, sans préjuger du succès esthétique de l'opération. Dans la nuit du 30 juin 1520 -Noche Triste- le peuple aztèque se révolta contre Montezuma et son allié Cortès, massacrant le premier et forçant le second à fuir. Les deux noms combinés sont :


Hernan Cortès


et


Montezuma

Le fond ici est divisé en deux partie; l'une en quatre teinte est une évocation de la jungle; l'autre partie est une idée de la nuit. Le fond peut être divisé  horizontalement, ce qui serait le geste le plus élémentaire de figuration paysagère :


96 Nuits Tristes. Le lieu. Cibachrome 120cmx80cm. Août'02.

Si la division est verticale, le principe figuratif est narratif et non paysager, temporel plutôt que spatial.


96 Nuits tristes. Le moment. Cibachrome 120cmx80cm. Août'02.

La configuration choisie pour la réalisation acrylique est une des 96 possibilités de la matrice des Moments.


Hernan Cortès et Montezuma. Noche Triste.
Acrylique sur toile de lin sur panneau 80cmx80cm. Août 2002.

Frida Kahlo en Arizona

Restons au Mexique. Frida Kahlo (le nom) me plaît par la simplicité de ses couleurs. C'est le symétrique d'Arizona, par exemple.


'Frida Kahlo'


et


'Arizona'

Les couleurs de ces deux noms sont à peu près parfaitement symétriques, comme pour Nestor Burma à la Côte d'Azur.


Frida Kahlo en Arizona.
Acrylique sur toile de lin sur panneau 80cmx80cm. Février 2003.

Frida Kahlo dans le miroir

Il y a chez Frida Kahlo un procédé de composition récurrent, qui oppose deux moitiés du tableau séparées verticalement, et opposées comme le passé et le présent,le bien et le mal, le Mexique et les USA. Opposition d'elle-même à son image dans le miroir. je remets en scène le nom de frida Kahlo combiné à son opposé spéculaire, et oppose verticalement les harmonie froides de la nuit aux verts chauds du jardin de Coyoacan.


Frida Kahlo dans le Miroir.
Acrylique sur toile de lin sur panneau 80cmx80cm. Mars 2003.

Edith Piaf, Miles Davis

Une autre proposition fondée sur la symétrie des couleurs des noms:


'Edith Piaf'


et


'Miles Davis'

Les couleurs de ces deux noms sont à peu près parfaitement symétriques, mais avec des variations de nuances.
Le fond, quant à lui, est comme les autres, affaire de figuration. C'est un fond transposant dans les tons bleus les quatres tons gris de la matrice. Admettons que ces bleus puissent évoquer une humeur musicale qui est celle de Miles Davis et d'Edith Piaf. On ne peut pas pour autant parler de synesthésie: il s'agit plutôt d'une connotation culturelle très répandue, comme l'est le terme 'blues'

Pour ces deux noms, j'ai procédé encore par essai et sélection; cette fois-ci, il y a 576 variantes :


576 Duo d''Edith Piaf' et 'Miles Davis'. Cibachrome 240x240cm.

Une de ces variantes, répondant dans l'intimité au doux nom de EPMDs2wfck+sur2301mod a été réalisée en tableau:


Duo d'Edith Piaf et Miles Davis n°1.
Acrylique sur toile de lin sur panneau 80cmx80cm. Décembre 2002.

Après ce premier duo d'Edith Piaf et Miles Davis, il me reste un désir d'en faire une seconde version, sur base de la seconde placée des 768 esquisses: EPMDQs2Cr0wfck+sur2301mod.tif. Serait-ce le désir teinté de TOC de ne pas laisser un pot de couleur sans l'étaler sur la toile? Ce n'est pas sûr; il pourrait bien s'agir d'une attitude qui s'est fait jour chez moi avec deux précédents tableaux, qui est de reproduire mon rapport au tableau avec un léger décalage. Ici ce serait le n°1 et le n°2 comme pour les nus descendant un escalier, ou, en fait, le vrai et le faux au sens du vrai et de son imitation, du vrai et de l'ersatz, ou encore l'original et laréplique, ce qui convient tout-à-fait à des duos.


Duo d'Edith Piaf et Miles Davis n°2.
Acrylique sur toile de lin sur panneau 80cmx80cm. Janvier 2003.

Marcel Duchamp / Jacques Villon

Deux peintres se sont figurés jouant aux échecs. Je les représente en prenant un échiquier pour motif de fond et de répartition. ce tableau partage Avec Sixty Four Panels: Colors for a Large Walld'Ellsworth Kelly le souci d'impersonnalité et de méfiance de l'esthétique. Mais là où Kelly s'en remettait au hasard, la stratégie ici est de prendre pour guide un principe d'imitation paradoxal qui ne soit ni conventionnaliste, ni naturaliste, celui de la perception synesthésique.


Marcel Duchamp / Jacques Villon.
Acrylique sur toile de lin sur panneau 80cmx80cm. Septembre 2002.

Marcel Duchamp / Marchand du Sel

Par l'attention précise et impersonnelle que je porte à un monde intérieur irrationnel je ne peux pas ne pas me sentir proche de personnages comme Monsieur Teste ou Marcel Duchamp. Je prend celui-ci comme motif d'un assemblage avec lui-même sous la forme d'un de ses alter ego littéraires. Le fond quant à lui est l'anamorphose chaotique d'un échiquier.

Je continue mon exploration chromatique de la culture occidentale en choisissant deux noms illustres du mouvement surréaliste: Marcel Duchamp et un de ses peudonymes de calembouriste, Marchand du Sel :


'Marcel Duchamp'


et


'Marchand du Sel'

Les couleurs de ces deux noms sont bien sûr à moitié symétriques,et à moitié identique. Le résultat de leur combinaison ne manquera pas d'être tout-à-fait asymétrique.
Pour le fond, le choix du motif et des couleurs s'imposait: sachant que tous deux étaient grands amateurs d'échecs, je me suis constitué un motif chaotique en traitant de la manière habituelle l'échiquier. En voici une série de variantes sous forme d'animation. A ce jour il n'en est pas résulté de tableau concret.


La révolution en art ne passait pas nécessairement par la subversion de la perspective. Marcel Duchamp ne se gênait pas pour y recourir exactement dans le compte-rendu rétinien de concepts n-dimensionnels. Je reprends le thème de l'échiquier, cette fois sous un angle naturaliste, avec perspective et tout. Je me renseigne auprès d'un expert sur la disposition réglementaire de l'échiquier, et il m'assure qu'on le dispose avec une case noire en bas à droite.


Marcel Duchamp /Marchand du Sel. Le Faux (non réalisé)

Le tableau fini, j'eus un doute, et une vérification à des sources plus sûre devait me révéler que l'échiquier était mal figuré : soit représentation inexacte d'une disposition régulière, soit représentation exacte d'une disposition fautive. Hésitant à jeter le tableau à la poubelle, je cherchais un moyen de le convertir à moindre frais en figuration exacte d'un réel conforme. Le plus simple était de décaler les cases d'un rang vers la droite ou la gauche, produisant ainsi une image vraie, mais au prix du sacrifice de la symétrie.


Marcel Duchamp /Marchand du Sel. Le Vrai.
Acrylique sur toile de lin sur panneau 80cmx80cm. Novembre 2002.

Ceci fait, il me restait le regret de n'avoir pas fait le tableau à la fois exact et composé sur l'a priori de la symétrie, et donc je l'ai refait dans ce sens.


Marcel Duchamp /Marchand du Sel. Le Beau.
Acrylique sur toile de lin sur panneau 80cmx80cm. Octobre 2002.

Docteur Jekyll et Mister Hyde

Docteur Jekyll et Mister Hyde sont parfaits pour illuster les effets de symétrie du moi et de son double. Il n'y a vraiment aucune coïncidence heureuse entre les deux noms, et je les ai exploités en laissant venir toute harmonie qui viendrait spontanément apparaître, mais en transférant ici la symétrie au motif de fond.


Docteur Jekyll and Mister Hyde.
Acrylique sur toile de lin sur panneau 80cmx80cm. Octobre 2003.

Le Bonheur des Amants.

On ne peut pas travailler par à-plats sans penser souvent à ceux qui ont appris à l'Occident que la peinture pouvait vivre sans modelé ni clair-obscur : les peintres japonais d'Ukiyo-e, les estampes variablement érotiques. Les deux noms que je combine ici sont ceux de deux bornes monumentales de la période la plus éclatante de l'estampe japonaise,


'Moronobu'


et


'Utamaro'

Hishikawa Moronobu (1618-1684) était le premier artiste qui ait publié ses oeuvres en feuillets séparés. Une de ses scènes d'intimité amoureuse est appelée Le Bonheur des Amants.


Moronobu, "Le Bonheur des Amants", détail.

J'en tire les quatre couleurs de la moitié supérieure du fond :

Kitagawa Utamaro (1753-1806) atteint à la perfection de la couleur et du dessin.


Utamaro, Assemblage de détails.

Ses fond sont souvent jaunes ou gris, et il a exploité brillamment la technique du kirazuri, encre noire mêlée de paillettes de mica.

Les quatre teintes de sa moitié de fond seront :

Ayant comme pour d'autres tableaux de la série produit les 576 variantes correspondant aux combinaisons des 13 couleurs des noms et des fonds, je réalise la variante suivante :


Le Bonheur des Amants.
Acrylique sur toile de lin sur panneau 80cmx80cm. Mai 2004.

L'Objet sans Nom.

Dans ce tableau, le sujet est le fond. La motivation première est le désir de travailler un passage du vert au bleu, ce qui ne peut se faire que pour le fond, où des jugements de couleurs d'ordre esthétique peuvent intervenir, alors que pour la figure les teintes sont déterminée rigidement par les associations synesthésiques.
La transition du vert au bleu, comme la transition du rouge au vert, ne soulève pas de réels grands problèmes métaphysique, mais n'en n'est pas moins délicate et matière à penser. Il s'agit d'une trajectoire dans un espace des couleurs, et ni la structure de ce modèle ni la configuration de la ligne qui y représente la transition ne se donnent d'emblée.
Mon option est de voir l'espace des couleurs comme une république où aucune couleur ne vaut mieux qu'une autre. Je me méfie des hiérarchies que veulent nous imposer les idéologies de la couleur, comme par exemple celle, moderniste, qui exalte sottement la "couleur hors du tube", ou celle, plus récente, qui veut réduire la couleur au nom qui la désigne -dans une culture logocentrique qui en fait honnit la couleur.
Penser et choisir la couleur, c'est donc d'abord s'abriter du bombardement d'idée reçues plus ou moins réactionnaires qui émane de la culture artistique dominante. Par exemple, on dit qu'entre le bleu et le vert s'établissent plus au moins automatiquement des relations de valeur et de saturation (le bleu recule, il est plus sombre, etc.). Ces phénomènes peuvent être dus à des particularités de la perception ou des contingences de fabrication des pigments, mais rien n'empêche de les mettre en question.

Je me suis attaché à déterminer une gamme de quatre teintes entre le vert et le bleu telle que chaque couleur semble aussi claire et saturée que les autres, que les écarts semblent équivalents, et ceci aussi bien à la grande lumière du jour qu'à la lueur bleuâtre du petit matin ou sous les néons (de bonne qualité) de l'atelier.
Une mise en ordre de mes notions en matière de couleur s'imposait, mais je n'en dirai pas plus ici, le sujet étant trop large. Voici donc quelques images rencontrées en chemin.

Ce qui nous trotte en tête, nous ne tardons pas à le rencontrer au coin de la rue. Je viens d'acquérir un traité de métaphysique de John Searle, et sous la jaquette qui s'orne d'une reproduction de Magritte -lieu commun de la philosophie en images-, qu'est-ce que je trouve ? Le bleu et le vert, sur lequel resplendit l'or de "MIND".

La recherche des teintes justes doit se faire directement sur la toile. Essais donc avec des mélanges récupérés, trop ternes ou trop éclatants, par essais et corrections. L'échelle joue aussi. Les premières touches donnent une vue aérienne d'îles tropicales bordées de plages de sable blanc.

Ce n'est pas faisable systématiquement avec les chiffres que donne la représentation rouge-vert-bleu de l'informatique. Mais des passages occasionnels par la réduction photographique et numérique suggèrent certaines corrections approximatives mais utiles.

Finalement, je me satisfais d'un accord en quatre tons qui représente un compromis très acceptable sans répondre parfaitement aux objectifs que je me suis fixé au départ; (les images que vous avez sous les yeux ne sont elles-mêmes qu'approximations juste bonnes à évoquer les intentions générales).

Toute cette réflexion sur la transition entre le vert et le bleu me faisait penser à Nelson Goodman, et à son problème métaphysique de transition entre green et blue, en passant par bleen et grue. C'est donc lui que j'installe dans mon verdoyant paysage, et sans me casser la tête en correspondance exactes, j'accompagne ce nominaliste auto-proclamé d'un Objet sans Nom.

La figure centrale est donc faite des couleurs de ces deux noms :


'Nelson Goodman'


et


'L'Objet sans Nom'

Mes figurations de couleurs de noms ne sont pas des représentations hagiographiques, et celle-ci ne fait pas exception. On aurait tort d'y voir l'expression d'une vénération particulière pour la pensée de Goodman. Pour éviter toute confusion, je ne garderai dans le titre que le second accessoire, l'Objet sans Nom.


L'Objet sans Nom.
Acrylique sur toile de lin sur panneau 80cmx80cm. Février 2005.

Autoportrait en Galbinus Gilvus Cesius

Avec cette transition du vert au bleu s'inaugure une petite série de tableaux dont le thème est la théorie matérialiste de la couleur, ainsi qu'on peut le qualifier le trichromatisme par oppositions aux égarements subjectivistes que sont les théories dualistes héritées de Goethe et Hering.

Dans les compositions de la série Voyages et Rencontres, la figure et le fond se différencient par leur régime figuratif : la figure centrale est la transposition synesthésique d'un réel d'ordre littéral, qui se retrouve dans le titre; le fond est une figuration naturaliste -limitée au domaine de la couleur- d'un réel concret.

Ce dont il s'agit ici en fait de phénomène naturel est la couleur. La divergence entre les théories dualistes et le trichromatisme ne se constate nulle part ailleurs mieux que dans la question des complémentaires.

Rouge-vert et bleu-jaune sont deux formulations de la complémentarité. Vraies ou fausses, c'est à voir plus tard.

Commençons par rendre en peinture la transition du bleu au jaune, et voyons ce qu'un tableau composé sur ce motif peut exprimer de vérité.

Le bleu et le jaune sont complémentaires, et loin de former par leur mélange du vert, c'est par le gris que se fait leur transition :

Je me rends bien compte que les nuances choisies ne sont pas exactement de même tonalité que les primaires réelles du trichromatisme (le bleu y est plus "mauve"), mais je rends compte ici de la convention de représentation courante :


Les mélanges additifs.The Colour Group.

Par contre, par rapport à ces représentations, j'ai pensé qu'il était bon, en tant que peintre, de ne pas subir passivement la différence de luminosité entre les jaunes et les bleus tels qu'ils sortent du tube, mais qu'il fallait assumer l'hypothèse d'une simple différence de teinte, et donc de les porter sur un plan de même valeur : le bleu est servi pur -et même additionné d'un peu de blanc-, et le jaune est éteint autant qu'il est possible tout en restant du jaune. Je me démarque ici de l'essentialisme qui fait d'une couleur -le jaune- une sensation qui ne peut être que ce qu'évoque "spontanément" un mot -"jaune".

Une transition linéaire entre ces deux teintes se ferait pas un point neutre achromatique (gris) de même valeur;commeon est dans un accord en quatre couleurs, ce point neutre est absent et on intercale donc un gris-jaune et un gris-bleu.

Voici donc peinte une transition conforme à une théorie matérialiste plutôt qu'aux idéologies subjectivistes. Peut-on dire qu'un tel acte est en soi plus matérialiste que si on s'était contenté de peindre en reproduisant sans réflexion les idées dominantes en matières de couleur ? Je le pense.

Pour ce qui est de la figure centrale, ce qui est représenté est une réalité littérale (des mots), appréhendée dans sa dimension synesthésique. Pas d'inspiration scientifique ici, mais un désir de lucidité dans le rapport à la subjectivité individuelle. Comme je veux traiter du même sujet du rapport bleu-jaune, je me donne comme motif un énoncé de cette transition qui synesthésiquement serait dans les tons i (bleus) et u (jaunes). Et là, rien à faire, il faut passer par le latin : jaune-gris-bleu s'y dit galbinus-gilvus-cesius.

Et comme on est dans le domaine du subjectif, il ne m'a pas semblé inapproprié de traiter les teintes conformément aux idées de couleur de ma jeunesse, avec des bleus et jaune bien vifs et se mélangeant pour faire du vert.


Autoportrait en Galbinus Gilvus Cesius.
Acrylique sur toile de lin sur panneau 80cmx80cm. Janvier 2006.

Une pomme (d'api) pour Isaac Newton

Une autre pierre de touche idéologique des théories colorimétriques : le couple rouge-vert. On ne compte pas les traités à grande prétention scientifique qui continuent contre toute évidence à affirmer que le rouge et le vert sont des couleurs complémentaires. Un exemple souvent donné est celui des post-images où on suggère que ce qui se verrait comme post-image de
 
serait la même en symétrique : .

Or il suffit d'essayer pour se rendre compte que les complémentaires de ce rouge et ce vert sont cyan (vert-bleu) et magenta. Et que ce qui se passe entre le rouge et le vert, c'est du jaune, que l'on peut éventuellement rendre en peinture par un ton de valeur égale qui est entre le brun, l'ocre et le khaki :

La position correspondant au jaune étant bien entendu absente dans cette transition en quatre tons.

Que le passage du vert au jaune se fait par le jaune,la nature nous en donne la démonstration chaque automne :

Une pomme ! Elle me fait penser à Issac Newton, qui est à l'origine de beaucoup de nos connaissances sur la couleur. Si elle est d'api est qu'elle se marie à "Issac Newton", j'obtiens le motif central de mon tableau :


Une Pomme (d'Api) pour Isaac Newton.
Acrylique sur toile de lin sur panneau 80cmx80cm. Avril 2006.

James Clerk Maxwell, Mallarmé

Un autre de mes héros de la pensée de la couleur, c'est, contemporain de Hermann von Helmholtz, James Clerk Maxwell. Une écriture claire, élégante, et une pensée somme toute géniale.

Pour mon prochain tableau, je vais faire un double portrait, qui à Maxwell pour la connaissance scientifique, joindra un autre de mes héros, qui s'est illustré dans l'art de la composition des mots et des lettres, Stéphane Mallarmé.

Ce qui est intéressant, c'est qu'en "James Clerk Maxwell" et "Stéphane Mallarmé", je me suis donné deux motif faits uniquement de a (noir) et de e (blanc). Cela me donnera le thème d'un tableau en grisaille, dont le titre sera (deux fois quatre syllabes) : "James Clerk Maxwell, Mallarmé". Il se fait que "Maxwell, Stéphane Mallarmé" est chromatiquement équivalent.

Le titre étant donné, il lui arriva ce que déjà Valéry décrivait pour un de ses vers : mon fragment se comporta comme un fragment vivant, puisque, plongé dans le milieu (sans doute nutritif) que lui offraient le désir et l'attente de ma pensée, il proliféra et engendra tout ce qui lui manquait : quelques vers au-dessus de lui, et beaucoup de vers au-dessous. Du coup, je compose une extension du titre :

James Clerk Maxwell, Mallarmé :
Le Sa -l'alea et le Ça,
C'est l'alphabet la clef de l'art;
La lettre, pas l'état d'âme.

C'est un quatrain d'octosyllabes, c'est à dire deux carrés juxtaposés. Les couleurs (le noir et le blanc) se disposent de façon symétrique, chacun des carrés étant le négatif de l'autre :

C'est le texte lui-même, avec sa métrique et ses symétries, qui prend une présence plastique évidente. Ce sont sans doute des vers de mirlitons, mais ils me permettent de voir que ce que font les poètes,avec leurs règles de rimes et de mètre, c'est se donner des concepts de composition picturale, dans le texte même.

O Iris Pur Issu du Mot

Le travail sur les transitions du rouge au vert entre complémentaires m'a donné l'idée d'un traitement de la couleur à la limite de l'invisibilité, c'est-à-dire près du noir. Dans un fond chaotique du genre de ceux de la série Voyages et Rencontres ne garder des quatres tons qui le composent qu'une frange colorée, un liseré. Le tracé engendre par exemple un jeu de liserés rouges et verts, que je superpose à l'image de la transition naturelle du rouge au vert dans les feuilles d'automne :


Les Couleurs se Ramassent à la Pelle IV.
Impression digitale 33x33cm. Novembre 2009.

Une autre façon d'envisager la couleur à la limite de l'invisibilité serait de composer mes fonds de teintes qui soient les quatre "primaires" traditionnelles -rouge, jaune, vert et bleu- à peine différentes d'un gris presque noir.

Arc-en-ciel réduit à quatre couleurs, et obtenu par l'observation dans l'obscutité du résultat du passage d'une fente de lumière à travers un prisme.

Si le fond est une figuration naturaliste de l'apparition-limite de la couleur dans l'obscurité, comme dans d'autres tableaux, je fais de la figure centrale une figuration synesthésique d'un énoncé dont le sens est proche de ce qui se passe pour le fond. Je choisis une phrase, en lettre des couleurs primaires -i o u- qui décrit l'arc-en-ciel (Iris était sa personnification divine dans l'antiquité) et la naissance de la couleur du sein de la lettre noire comme encre.


O iris pur issu du mot.
Acrylique sur toile de lin sur panneau 80cmx80cm. Aout 2009.

Du Mot Voir l'Iris sous l'Obscur

Très semblable au précédent, ce tableau, qui exprime plus ou moins les mêmes idées, part d'un a priori formel : au lieu de combiner rouge, jaune et bleu, on fait intervenir les teintes intermédiaires -violet et orange.


Du mot voir l'iris sous l'obscur.
Acrylique sur toile de lin sur panneau 80cmx80cm. Juin 2010.

Rouge, Vert, Outremer, Safran

Ces quatre mots sont des variantes de ce qui se passe pour le fond,avec ses quatre couleurs.


Rouge, vert, outremer, safran.
Acrylique sur toile de lin sur panneau 80cmx80cm. Aout 2009.

Green Blue and Red Get Split from Black

Ici encore, expression de la couleur comme engendrée par l'obscurité. Il y a bien une réminiscence duTraité de la Couleur de Goethe, mais sans aucune intention d'en faire un manifeste.

En fait audépart j'étais plutôt parti d'une disposition de teintes qui me plaisait, et je me suis posé le défi de leur trouver un correpondant littéral qui puisse être aussi expressif du programme thématique de la proximité des couleurs avec le noir.

Cela n'a pas été aussi simple. Voici par exemple quelques unes des propositions qui se sont présentées à mon esprit :

Les purs chromas de gris à vert

Mais chroma, ça n'est pas français; faut-il admettre par principe une contamination de la langue par le franglais ? Et puis, de gris à vert c'est vrai, mais purs, vraiment ?

Le gris avec les purs chromas

ne vaut pas beaucoup mieux.

Certaines sont de pures divagations, en ce qui concerne la pertinence descriptive :

L'esprit voyage sur la mer
Les îlots sacrés du Maghreb
Le violet des lupanars
Les violettes du pacha
Vert, violet, le pur karma
Le pur objet d'esprit dada
L'esprit s'acharne sur l'objet
Le prix d'achat des pull-over

Et ces exemples ne sont pas les pires. Mais tous correspondent au tableau. Il se fait que pour quelque motif inconscient, c'est Les violettes du pacha qui s'insinuait insensiblement comme désignation du tableau. Mais je ne pouvais pas m'en satisfaire.

Dans cette agonie mentale de la recherche d'un titre, je cherche même à recourir à cette vielle recette : on s'applique à la solution d'un problème jusqu'au moment d'aller au lit, et puis, on attend le fruit du travail de l'inconscient pendant le sommeil. Dans un état intermédiaire entre la veille et le sommeil, il se peut qu'apparaisse l'énoncé de la solution, qu'il faut vite noter sur un papier posé sur la table de nuit. Ce matin d'août 2010, de fait, comme à d'autres génies inspirés, me vient ceci :

Ah guine; teuf nitch tappoutch


ill. De Cramer, Missel Quotidien pour Enfants

Ce n'est pas vraiment d'une intelligence fulgurante. Enoncé pour le moins abstrait; il ne semble pas être un bon candidat à la dénotation du tableau qui nous occupe.

Plutôt que de rechercher un sens dans l'univers des choses exprimables en français, ne ferais-je pas mieux d'explorer l'univers des mots anglais par exemple ? Et de fait, là je trouve un vers de huit pied qui a quelque rapport avec les quatre couleurs et le noir.


Green blue and red get split from black.
Acrylique sur toile de lin sur panneau 80cmx80cm. Aout 2010.

A la fin de cette série, je me retrouve dans la position inverse de celle qui m'orientait au début -se donner un titre qui suscite des couleurs et des harmonies inattendues- pour me trouver dans le shéma traditionnel d'un a priori formel suivi de la recherche d'un titre. En passant, j'ai rencontré la grande similitude des inventions picturale et poétique.