Du 3 mai au 26 juillet 2003.
Alors que la plupart des expositions ont une tendance à présenter des ensembles homogènes, on privilégie ici plutôt les moments de divergence sur un trajet dont la cohérence reste -on l'espère- perceptible. les travaux présentés -peintures acryliques, impressions argentiques et numériques- sont réparties en 7 catégories thématiques :
Aucune des images que je donne à voir n'est l'illustration directe du temps. En peinture le temps ne peut être qu'un ingrédient a posteriori, un agencement spatial d'instants de découverte ou de création de nature plastique.
Dans The Story of Philosophy de Bryan Magee, je trouve une photo d'une des 52 églises construites à Londres par Christopher Wren après le grand incendie de 1666,St Peter in the Wardrobe.
Le détail de l'autel m'enchantait par son aspect d'instantané de la dialectiquedu marbre et du tapis.Pourtant il ne me semblait que juste de tenter de donner plus d'ampleur à cette histoire passionnante en la développant en six actes.
Vérifications faites, il semble que cette église soit plutôt St Andrew by the Wardrobe, et que d'ailleurs elle n'existe plus.
En 1982, j'étais, à l'Atelier d'Architecture du Sart Tilman dirigé par Claude Strebelle, chargé par celui-ci de la conception d'une place centrale du campus qui serait à la fois dalle de couverture d'un parcage de voitures et monument symbolique de l'université. Pour une université dont la vocation scientifique et laïque était nettement affirmée, je proposais donc que la place centrale soit pensée comme métaphore de la science conçue comme déploiement narratif des tribulations de la forme entre le concept initial et l'image finale, résultant des contingences matérielles. Une histoire en quatre temps :
Observation du réel : topographie du terrain
Découpage du réel : mise en réserve d'un carré de nature de 100m de côté
Représentation géométrique, inaugurale des transformations techniques
Amorce du processus de corruption/enrichissement de la forme avec la disposition d'évents de ventilation
C'est le troisième stade qui fut en définitive réalisé.
En 1999 Therese Chotteau m'a confié la conception du socle pour une de ses sculptures, Le Porteur d'Eau, à Louvain-la-Neuve.
C'était, sur un plan incliné en pierre bleue et dans le langage d'une géométrie rigoureuse, la reprise du motif principal du flux.
En faisant la maquette de carton, je faisais des photos d'un stade intermédiaire
où la chose avait une vague allure de porte prenant son envol.
Je cherchais alors un titre, avec par exemple, et dans l'ordre chronologique :
Onde de Synthèse; Modèle n°9; Onde 004; Lourde; Le Poids des Ondes; La Pointe de
l'Onde; Le Socle de l'Eau; Une Onde s'ouvre; L'Onde Lourde; Le Jour de l'Huître; La Pointe de l'Huître.
Plutôt que de choisir, j'ai préféré juxtaposer quatre de ces moments où l'image en
quête d'étiquette changeait de sens.
Vers 1475 Léonard de Vinci peignit une Annonciation.
Du côté de l'ange, le végétal représenté avec la minutie empirique caractéristique de Léonard ; du côté de la Vierge, il prend les formes stylisées de la représentation conventionnelle du marbre. L'Annonciation est-elle celle (comme métaphore) de la substitution de la science d'observation à l'érudition aristotélicienne ?
Rien de tel le matin qu'un fruit pour réamorcer la plomberie corporelle et éclaircir l'œil. L'été 2002 a désigné comme victime pour cet heureux sacrifice matinal le melon. Chaque matin donc, entre le 24 juillet et le 21 septembre, j'entamais le dépeçage par un geste, toujours le même, d'ablation d'un fragment de la peau en partant du sommet (qui chez le melon est le point d'implantation de la queue) vers l'équateur, trace d'une séparation préalable du globe en deux hémisphères.
Chaque fois, c'était la découverte d'une disposition inédite des verts et des roses de la chair du melon, qui se disposait en pétale de feu frangée de vert. Chacune était immédiatement enregistrée photographiquement, sous des conditions d'éclairages variables. La réunion de toutes ces langues de feu s'appelle la Pentecôte.
La guerre en Irak nous a donné ample sujet de réflexion, d’inquiétude et d’indignation sur la déliquescence du sens républicain de la justice et de la vérité dans les grandes nations occidentales. Pour ses promoteurs elle opposait d'un côté les détenteurs du bien et du vrai, et de l'autre, l'axe du mal -et du mensonge. Entre les deux, des vérificateurs dont on n'a pas perdu de temps à disqualifier la capacité à établir le vrai sur des bases empiriques. Cette guerre, menée par une alliance de faux intellectuels et de crétins patentés, porte son cachet de post-modernisme, la guerre étant le prolongement de la sottise et de l'arrogance par d'autres moyens.
Que faire ? En tant qu'artiste, faut-il se laisser submerger par un sentiment d'impuissance
? Ou célébrer cyniquement la futilité de l'art ? Même si les moyens d'action de chacun de nous sont extrêmement limités, nous n'en sommes pas moins tenus de proportionner notre engagement à notre destinée réelle. Dérisoire pour dérisoire, notre action ne gagnera sûrement pas en impact à être fausse. Il est fondamentalement correct de penser en termes de modèle idéologique plutôt que de jeu esthétique. Mais loin de tout prêche moralisateur aisément repérable, le travail artistique nous place devant l'exigence de la distinction entre le vrai et le faux, entre le concept et l'image, dans les termes mêmes de l'art.
Dans Synesthésies, la Couleur des Formes, série de texte et tableaux de 2001, je m'appliquais à produire des compositions qui ne soient que de couleurs, minimales dans leur hypothèse de départ : La visée n'est pas une gratification rétinienne, mais bien le rapport à une réalité extra-picturale : une figuration en somme. Mais non pas projection imaginaire d'un motif sur le plan du tableau, projection assortie d'éventuels effets de peintre, mais recherche d'un Autre dans une réalité d'ordre littéral : le nom de la chose, les lettres agencées en syllabes. En un lieu mental où l'on est sûr de ne trouver aucune détermination naturaliste ni symbolique.
C'est la lettre en tant qu'elle prend couleur par l'effet d'une perception synesthésique : la couleur des voyelles modifiées de la proximité des consonnes fait des mots une suite de teintes correspondant chacune à une syllabe.
L'espace du tableau est divisé en autant de syllabes (et donc de couleurs) qu'en compte le nom. On ne saurait concevoir dessin plus élémentaire :
prenant pour sujet des noms de quatre syllabes, je me limitais donc à quatre plages colorées disposées deux lignes de deux syllabes.
Pour bien indiquer que le spectateur ne devrait là rien espérer comme effet de reproduction figurative et qu'à y chercher une lumière projetée sur le sujet, il n'y trouverait jamais que moi-même, je les appelais, un peu par provocation, des Autoportraits. Bien entendu il n'y a là non plus aucun narcissisme, et le sens de ma démarche est de recentrer toujours l'effet d'image sur la productivité des concepts.
Mais j'ai bien dû constater que les effets de séduction de la forme persistaient même en ces efforts pour les neutraliser et que dans l'image colorée de mon nom, qui se trouvait comme signature sur la couverture du livre,
je répétais le schéma de la plupart des noms traités jusque là : des noms de quatre syllabes donnant une composition d'une symétrie minimaliste. Un peu comme si le nom choisi était quelque chose comme Tirry Gonze.
C'est que pour la figuration synesthésique, les diphtongue en I et E ne se disposaient pas nettement dans l'espace en deux entités ni bien séparables ni bien confondues. Mais à tout prendre, la syllabe Thie devait plutôt se scinder en deux teintes, et faire de mon prénom une suite de trois couleurs. La symétrie du tableau était ruinée, mais la correspondance au sujet plus fidèle : cette représentation devait être considérée comme la vraie, rejetant l'autre dans le domaine des embellissements trompeurs de la réalité.
Désirant intégrer dans une composition le motif de l'échiquier, je me renseignais auprès d'un expert sur la disposition réglementaire de l'échiquier, et il m'assurait qu'on le disposait avec une case noire en bas à droite.
Le tableau fini, j'eus un doute, et une vérification à des sources plus sûre devait me révéler que l'échiquier était mal figuré : soit représentation inexacte d'une disposition régulière, soit représentation exacte d'une disposition fautive. Hésitant à jeter le tableau à la poubelle, je cherchais un moyen de le convertir à moindre frais en figuration exacte d'un réel conforme. Le plus simple était de décaler les cases d'un rang vers la droite ou la gauche, produisant ainsi une image vraie, mais au prix du sacrifice de la symétrie.
Ceci fait, il me restait le regret de n'avoir pas fait le tableau à la fois exact et composé sur l'a priori de la symétrie, et donc je l'ai refait dans ce sens. J'avais donc deux aspects de l'échiquier : Le Vrai et le Beau.
Le règne du mensonge ne doit pas être daté de l'avènement du petit Bush. Bill Clinton déjà avait manifesté de nettes aptitudes aux tours de passe-passe logiques. En particulier lors de l'enquête sur sa relation avec Monica Lewinsky. Le rapport du magistrat chargé de l'affaire, Kenneth Starr, est publié sur intenet @http://icreport.loc.gov. On y observe une attitude qui prend le public, et donc l'électorat, pour la masse de lobotomisés des facultés logiques qu'à pu produire la culture télévisuelle.
Le rapprochement n'aura pas la prétention de résister à une analyse très approfondie, mais je n'ai pas pu m'empêcher de penser au tableau de Magritte où l'image d'une pipe est accompagnée du commentaire Ceci n'est pas une pipe.
Cette version anglaise de La Trahison des images est de 1935, conforme à l'original en français de 1929. Bien entendu, ici Magritte ne veut que signaler par l'image la différence entre le concept et l'image, et je ne peux que souscrire à ce programme. Reste posée la question de la vérité de l'image. Un grand moment de menterie diplomatique était le discours de Colin Powell à l'ONU où on a bien compris que l'on peut faire dire n'importe quoi aux objets comme aux images.
L'image de ce qui n'est pas un cigare est extraite de La Légende Dorée par Magritte, de1958, qui montre une escadrille de pains français dans le ciel nocturne.
Le plus inquiétant, dans la prise de pouvoir par l'extrême droite aux USA, est, au niveau de l'idéologie, l'inversion quasi systématique des valeurs traditionnelles. Désormais sont valorisées la brutalité et la sottise. Les médias nous ont à saturation renseignés sur la jubilation avec laquelle G.W. Bush proclame à ses concitoyens que n'importe quel imbécile peut devenir président. C'est dans ce renversement des valeurs de civilisations que se justifient les rapprochements entre ce régime et l'Allemagne nazie.
On peut imaginer que l'artiste idéal du nazisme américain soit semblable à quelqu'un comme Thomas Kinkade,"America's most collected living artist", dont l'œuvre est à voir et à vendre sur www.thomaskinkade.com. Aucun site Internet n'incarne autant la lucrative union de la dévotion et du mauvais goût.
On ne saurait ici rendre fidèlement la vulgarité de ces chromos qui ne visent qu'à flatter les ambitions morales et intellectuelles les plus limitées. Ils n'existent pas sans le texte. Le public n'a pas de regard ou s'en méfie, et demande au verbe la justification d'un abandon furtif à la séduction des images.
De toutes ces vignettes, la plus caractéristique est sans doute Perseverance :
Thunder crashes, sails billow, waves toss the fragile boat. We see that the clouds are about to break. The sea will calm; the sailor's perseverance will soon be rewarded by a return to God's safe heaven. Perhaps this painting can assure each of us that if we can simply persevere, God's hand of love will soon disperse each storm.
Disons qu'à choisir c'est plutôt le texte qui semble opératoire. Nous le prenons donc comme témoin d'une esthétique de l'aliénation religieuse en l'adjoignant à une image qui s'adresse sans dissimulation à l'exaltation militariste des va-t-en-guerre américains.
Dans un texte et une série de tableaux intitulés Synesthésies, la Couleur des Formes, j'ai voulu explorer systématiquement le phénomène d'adhérence mentale entre les perceptions colorées et celles qui relèvent d'autres facultés imageantes. C'était fonder l'invention du dessin et de la couleur sur une base qui ne doive rien à la figuration d'une intériorité subjective, ni à une manipulation éclectique de signifiants conventionnels.
Le moment où j'ai découvert que le phénomène suscitait chez d'autres un vif intérêt, c'est lorsque à l'école nous a été présenté le sonnet de Rimbaud Voyelles, dont je me contenterai de citer ici les deux premiers vers :
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu: voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes ...
Je remarquais que ces couleurs n'étaient pas celles que j'associais aux lettres. Pour moi, le sonnet aurait eu pour premier vers :
A noir, E blanc, O rouge, U jaune, I bleu: voyelles, ...
Contrairement aux idées répandues par certains théoriciens romantiques et modernistes (Kandinsky par exemple), la synesthésie ne peut pas être prise pour base d'un langage plastique universel. Le phénomène est strictement personnel.
Les chiffres aussi ont leur couleur synesthésique. Une disposition des cinq premiers entiers non naturels donne le résultat suivant.
Pour illustrer l'impact de déterminations qui sont encore synesthésiques, mais sans se limiter au vocabulaire des formes abstraites élémentaires, j'ai voulu faire une proposition où l'aspect figuratif intervient : la synesthésie n'est pas basée sur la forme picturale, mais sur la nature et la forme de l'objet représenté :
Quelles que soient les matières ou les couleurs réelles, il y a une perception synesthésique qui me dit que le couteau est bleu, que la cuiller est rouge et que la fourchette est jaune. Dans cette transposition, on ne cherche pas un effet poétique qui tiendrait de la portée évocatrice de la chose représentée, qu'elle soit héroïque, tragique, émouvante, ou autrement sublime. Le motif choisi est des plus anodins. Le sens est dans l'établissement métaphorique de relations entre les différents éléments du tableau.
NATURE MORTE SYNESTHESIQUE
Le GOUT des COULEURS
Du GOUT et des COULEURS
La plupart de mes compositions synesthésiques reprennent l'opposition de la figure au fond. Pour ce fond sont inversés les rapports du mimétique et de l'arbitraire propres à la figure :
C'est une transposition du rapport traditionnel de la figure au paysage, le paysage étant ici remplacé par un camouflage, motif chaotique dont la construction obéit à des contraintes picturales d'économie des moyens et de confinement dans l'univers de la toile. Les pages 16-42 du texte " Synesthésies, la couleur des Formes " donnent l'explication de ce travail.
Le motif est obtenu par la superposition de deux dessins : une matrice de carrés tournés et un quadrillage déformé. La rotation et la déformation sont nulles au bord et augmentant vers le centre.
Par exemple, pour un motif chaotique qui compte 5 éléments par côté du tableau, on procède de la façon suivante :
Le dessin exposé correspond au schéma en haut à droite, mais avec 6 éléments par côté du tableau.
Avant la sélection des couleurs pour le Camouflages, j'ai voulu en tester l'effet avec des motifs hachurés. J'ai exposé deux impressions correspondant aux côtés à six et sept modules :
CAMOUFLAGE DISCRET (mod6)
(l'illustration reproduit 1/4 de l'image réelle)
CAMOUFLAGE DISCRET (mod7).
(l'illustration reproduit 1/4 de l'image réelle)
La DISSIPATION du CARRE MAGIQUE
Pour une étude en cours qui privilégie le jeu des coloris sur un dessin moins tranché, je cherche à affaiblir le caractère tranché du motif par divers procédés. Par exemple en le perturbant avec un tracé curviligne qui lui soit très étranger, mais fondé sur les même principes géométriques de construction aléatoire.
(l'illustration reproduit 1/4 de l'image réelle)
La DECOMPOSITION du CHAOS
Dans le même souci d'imprécision, je superpose des dessins de chaos de même module (le nombre d'éléments par côté du tableau, dans ce cas-ci, est sept). Par des opérations sur les représentations binaires des couleurs dans le système RVB, j'obtiens l'affaiblissement souhaité du motif.
(l'illustration reproduit 1/4 de l'image réelle)
La SUBLIMATION du CHAOS
(l'illustration reproduit 1/4 de l'image réelle)
Dans une série de tableaux qui développait sur la règle du jeu en faisant du tableau la combinaison de deux noms, je prenais pour sujet le nom de Marcel Duchamp combiné à l'un de ses pseudonymes de calembouriste, Marchand du Sel. Ces noms étaient combinés selon les dispositions d'un motif en noir et blanc qui donnait à la fois la matrice de répartition des teintes des deux noms, et le fond sur lequel le sujet s'inscrivait. Dans le cas de Marcel Duchamp, il me semblait que le motif d'un échiquier allait de soi. Une variante construit le motif en perspective. Dans une autre, j'essaie de transposer le motif du damier dans la géométrie chaotiqueque j'avais définie pour les camouflages. On procède par superposition de deux dessins d'échiquiers transposés et déformés.
On obtient une matrice de répartition de quatre valeurs colorées dont les multiples permutations produisent autant d'aspects dissemblables.
A partir d'une configuration de la matrice fondamentale appelée EQ89R1, quatre de ces aspects sont :
ECHIQUIER PERTURBE RECOMBINE (aspect wwkk)
ECHIQUIER PERTURBE RECOMBINE (aspect wwvr)
ECHIQUIER PERTURBE RECOMBINE (aspect wwkw)
ECHIQUIER PERTURBE RECOMBINE (aspect wkwk)
Pour l'exposition organisée au printemps 2002 par Wolu-Culture pour célébrer le centenaire de la Ligue des Droits de l'Homme, j'ai proposé une réflexion, en texte et images, dont la teneur générale allait dans le sens d'une méfiance vis-à-vis de toutes les identifications imaginaires, aussi bien intentionnées ou politiquement correctes soient elles.
Une réflexion politique sur la violence et l'aliénation doit pour un artiste s'orienter sur ce qu'elle ont d'intime avec le vécu de l'image et des concepts.
La République du Milieu. Autoportraits En Kiong Houa, Chou En Lai, Tchang Kai Chek, Mao Tse Toung.
Dim: 30x30cm. Acrylique et impression digitale sur papier Canson. Réalisation: mai'2002.
Le Poids des Ames.
Impression Giclée sur papier Aquarelle Arches. Mars'02. Dim: 27,5x27,5.
Le Rose et le Noir.
Impression Giclée sur papier Aquarelle Arches. Mars'02. Dim: 36x24cm. 6ex.
Le Tombeau de Justice à Bruxelles.
Impression Giclée sur papier Aquarelle Arches. Mars'02. Dim: 55x42,5cm. 8ex.
Le medium de l'architecture moderne était l'espace, substance énigmatique qui semblait ne pouvoir se réduire à aucune expérience commune et dont la distillation par des théoriciens prenait parfois allure de mystification. Vitruve n'en parle jamais, et le Parthénon s'est bien fait sans que n'y songent jamais Ictinos ni Périclès.
Mais qu'il n'existe pas comme substance absolue ne l'empêche pas d'exister comme
notion culturelle historiquement et idéologique marquée. On peut parler d'espace pictural aussi, pour autant que l'on n'y voie pas une substance réelle, mais qu'on adopte un nominalisme qui le définirait comme une notion-valise. L'espace du tableau ou du dessin entretient une diversité de rapport avec d'autres types d'espaces. On joue ici sur les ambiguïtés et les permutations de rôles entre l'espace pictural, l'espace perspectif, l'espace textuel, l'espace cartésien et les espaces qualitatifs.
Une page d'un journal financier (rose) qui se réduit à une texture de colonnes de chiffres. Tournée de 90°, elle se transforme en paysage. Une répartition de couleurs au hasard entre les colonnes lui donne son caractère.
La gravité est un medium où l'architecture baigne si totalement qu'on n'en perçoit plus clairement les effets. J'ai voulu construire un modèle hypothétique qui en la faisant disparaître, révèle ses effets sur des valeurs architecturales Vitruviennes comme la symétrie. L'espace, ici, se définit de la manière commune de ce qui se trouve en dehors de notre planète, milieu extra-terrestre où la gravité s'annule.
Il n'y avait pas de raison de me priver du télescopage de deux classicismes; l'un, celui de Palladio à la villa Malcontenta, l'autre, celui des cristaux hyalins modulés de Mies van der Rohe.
Avant d'être des acryliques sur toiles, mes compositions sont des dessins digitaux préparatoires à l'agrandissement. La conjonction des tracés et des inscriptions donne au papier une ambivalence visuelle, entre l'espace pictural et l'espace textuel.
Le critique Jacques Menil, dans l'Art au Nord et au Sud des Alpes, montrait qu'au 15ème siècle, tant Flamands qu'Italiens avaient maîtrisé les principes de la perspective, mais chacun avec un tempérament culturel différent. Ce qui distinguait les Italiens, c'est que dans leur perspective se dessinait un espace unitaire, très différent de l'amalgame d'espaces discordants des Flamands. C'est à proprement parler la découverte de l'espace comme réceptacle universel, et non plus agrégat qualitatif ou narratif.
Un petit tableau au palais ducal d'Urbino, attribué à Piero della Francesca, nous apparaît comme un des premiers manifestes de cet espace unitaire.
D'une image en perspective, on peut, par une sorte de reverse engineering, reconstituer les paramètres de la vision: situer, par rapport au tableau, l'oeil de l'observateur, et chacun des objets représentés, pour autant que l'on admette que la chose représentée soit raisonnablement construite (c'est-à-dire essentiellement avec des angles droits et des figures euclidiennes).
Ma composition reconstitue minutieusement les paramètres de la vision et reprend les éléments de la chose figurée pour les soumettre à une série d'opérations transformatives entre le plan du tableau et l'hypothétique espace perspectif. Des volumes architecturaux sont transformés en tracés 2-D plus ou moins arbitraires (stylisés). Le motif de sol de la place représentée dans le tableau de Piero della Francesca est relevé dans le plan du tableau. Certaines figures se retrouvent comme supergraphics sur les plans des volumes mis en perspective.
Le dessin du sol est transféré sur une toile qui servira de housse de couette, disposée au hasard sur un corps, photographiée et intégrée dans le tableau.
En fin de compte, la ville idéale n'est-elle pas celle de l'urbanisme descontradictions et des ambiguïtés entre les différentes modalités de nos représentations symboliques et imaginaires ?
Institut Supérieur pour l'Etude du Langage Plastique. Boulevard de Waterloo 31, 1000 Bruxelles.