En ce mois de juillet 2015, je me suis résolu à effectuer un travail longtemps remis à plus tard : enlever cet horrible arbre au fond de mon jardin, fait d'un tronc de houx enveloppé d'un lierre. Le feuillage a été évacué en 45 sacs verts bien tassés, l'essentiel du tronc du houx a été débité en bois à brûler.
Parmi le petit bois, il y a des morceaux de tiges du lierre, découpés à la scie égoïne d'après les possibilités et les exigences du travail pour dégager le tronc.
Certains m'ont intéressé par leur forme. Je les ai gardé, et j'ai choisi de les pousser vers un statut d'œuvre d'art. Evidemment, il ne s'agit pas ici de formes que j'aurais créées dans une visée figurative ou expressive. Ces formes, c'est la plante elle-même qui les a créées, d'après ses propres règles et buts. Ce seront des images acheiropoïètes (qui ne doivent rien de leur forme à la main de l'homme), comme certaines, miraculeuses, du Christ ou de la Vierge Marie.
Mon action matérielle se limite à les débarrasser de leur écorce, pour mieux révéler la sinuosité du bois, à couper quelques moignons de branchettes, et ensuite à les nettoyer en les trempant dans un seau d'eau de javel. Une fois la tige séchée, ma seule intervention artistique est de choisir l'orientation de la tige dans l'espace et de la découper à un endroit qui sera la base, ce qui m'a demandé un certain degré d'application et de soin.
Sans doute ne dois-je pas trop compter sur ces branchettes pour affirmer ma personalité d'artiste, pas plus que l'on ne pourrait le faire pour ces compositions à base de déchets naturels, branchettes ou galets aux formes évocatrices, qui se rencontrent couramment sur les sites touristiques. Mais d'emblée je suis interpellé par le défi qu'est le geste artistique de la dénomination : donner un titre. Le titre n'est pas seulement une planche de salut pour tous ceux qui souffrent d'une déficience imaginaire et qui sont des analphabètes de la forme et de la couleur. Il n'est ni une explication, ni une justification. Mais une excursion parmi les mots. Il est une passerelle entre ces deux univers imaginaires, la lettre et l'image, qui pour chacun de nous sont des univers complètement différents.
La plupart de ces branchettes font penser à des personnages qui dansent, seuls ou en couple.
Il y a dès lors dans le vocabulaire de la danse classique une mine de titres pour ces petites sculptures : arabesque, grand jeté, fouetté, pas de basque, battement, pas de biche, pas de bourrée, brisé, cabriole, saut de chat, contretemps, coupé, déboulé, grand écart, entrechat, flic-flac, fouetté, gargouillade, glissade, jeté, pirouette, rond-de-jambe, saut de chat, saut de l'ange, sissonne retiré, soubresaut, tour en l'air, tour piqué, etc. etc.
Voici un personnage qui s'incline fort gracieusement. On distingue la petite révérence (le pied droit de la jeune fille ou de la dame venant se placer à l'arrière du pied gauche, tandis que les genoux sont légèrement fléchis et que les bras restent ballants le long du tronc) de la grande révérence (au cours de laquelle la jeune fille ou la dame va lever ses mains et ses bras pour esquisser un geste ample en forme de cœur avant de relever les pans de sa robe lorsque, accentuant le fléchissement des genoux, le pied droit toujours placé derrière le pied gauche. [wikipedia] L'image tire sa révérence (disparait) devant le titre, révérence (référence) de l'image.
Deux branchettes entrelacées (et solidarisées par un petit clou). Un couple dansant de façon très théâtrale. Paso doble : le danseur joue le rôle du torero et la femme, celui de sa muleta. Plusieurs variantes de mouvements : le petit cheval, le tour du monde, pivot, zig zag, ... Adoptons le
Posée ainsi, la branchette est retournée; inversion du mouvement naturel de la plante. Les positions de danse retournées : cabriole, changement, conversion, demi-tour, fuite, palinodie, pirouette, reniement, renversement, revirement, subterfuge, tête-à-queue, virage, virevolte, volte, voltigement, tournicoti tournicota, spring U turn, flashback. Pour moi de sera donc le
Harald Szeeman organisait une expo When Attitudes Become Form, cette branchette me semble exemplaire de l'inverse :
Dans les rapports entre ces branchettes je sens s'incarner des types de rapports personnels décrits par la psychanalyse. Quelques mots de J.-B. Pontalis (Oeuvres Litteraires, Gallimard 2015, pp.811-815) : libido labile, raide amoureux, le père, le fils, côte à côte.
Voici une figure qui me disait "névrose". Pourquoi ? Ce qui est intéressant ici, c'est que le danseur principal embrasse le vide, le second personnage se tenant en dehors et à l'arrière. Madame Bovary, qui embrasse le fantasme en excluant le réel ?
Il y a cette excroissance sur le côté, comme la côte d'Adam qui est devenue ce que l'on sait. L'homme s'écria : "Voici l'os de mes os et la chair de ma chair.
Cette pièce tient sa forme du vide central, trace du tronc de houx et motif essentiel. Un adulte et un enfant. La Sainte Famille ? Ou alors la Trinité ? Adam, Eve et Caïn ? Remarquons le coup de coude que fichait Adam dans la tête d'Eve ci-dessus. Caïn, le fils aîné du premier couple humain, tua son frère cadet Abel, devenant ainsi le premier meurtrier de l'humanité.
Le personnage de droite ne touche plus le sol; l'Autre est son contact avec le monde. Un psy et son patient. Lequel est le psy ?
Plus couple que cela tu meurs. Un grand tout amoché abrite une jeunette. Ou alors c'est la jeune qui le soutient pour marcher. Lucas Cranach illustrait ce thème dans des tableaux intitulés Le couple mal assorti. Ici, le titre sera
Toute création artistique s'inscrit dans une généalogie, et la production du houx du fond du jardin n'échappe pas à cette règle. Pour ce couple de brindilles, j'ai opté pour la greffe sur une figure bien connue, devenue le socle de cette figuration naturelle :