La QUADRATURE de l'ARBRE

Avenue de Tervuren à Bruxelles

 

Elaboration du plan d'aménagement

Depuis quelques années à Bruxelles se confirme une restauration de la primauté de la vision artistique dans l'aménagement de l'espace urbain. Celui-ci a été trop longtemps monopolisé par des ingénieurs et techniciens soucieux essentiellement de contraintes de flux et de sécurité, et satisfait d'accorder aux exigences artistiques les ressources d'une culture sommaire. La C.A.I.D. (Commission Artistique des Infrastructures de Déplacement), a aujourd'hui pour rôle de guider l'administration dans ses choix artistiques. A l'origine limitée à la sélection et l'accompagnement des interventions de plasticiens dans les stations de métro, elle investit désormais les grands axes de surface régionaux.

Vers la fin de 1992, la C.A.I.D., présidée par Gita Brys-Schatan, a demandé au sculpteur Thérèse Chotteau quelques propositions d'intervention sur des lieux à choisir par elle dans le réseau des voies régionales de Bruxelles.

Un espace entre ville et forêt.

Une des propositions de Thérèse Chotteau concernait le carrefour du Rouge Cloître, où l'avenue de Tervuren pénètre dans la forêt de Soignes; c'est celui qui a été accepté par la C.A.I.D..

L'avenue de Tervuren, une des plus belles créées au temps de Léopold II, relie deux monuments marquants de son règne: le Cinquantenaire et le Musée de Tervuren. Elle est exemplaire d'une esthétique urbaine fondée sur les principes de l'Ecole des Beaux-Arts: ordonnances régulières et symétriques.
Mais un siècle de trafic automobile et de contamination de la pensée urbanistique par le souci exclusif des contraintes de flux et de sécurité ont ici, comme ailleurs en ville, eu raison de la beauté et de la logique des espaces.

La traversée de l'avenue dans les deux sens se présentait comme un îlot ovoïde dans un océan de macadam, le tout étant étiré en oblique vers la chaussée de Tervuren. Les derniers marronniers de l'alignement avaient été abattus d'un seul côté, ruinant ainsi la symétrie de la " façade " transversale de l'avenue.
L'organisation des circulations des cyclistes et des piétons semblait avoir été faite dans un même esprit informel et à court terme, sans égard pour l'esprit du lieu.

Thérèse Chotteau, en portant son choix sur cet endroit dont elle connaissait bien la lumière et les tensions, exprimait déjà au niveau des ensembles urbains et avant toute considération de forme, l'idée de différence qu'elle développe dans ses travaux les plus récents.

 
Majesté des alignements de marronniers de l'avenue et de la futaie de la forêt.
Le choix de Thérèse Chotteau est de traiter le passage d'un paysage à l'autre.

La transition est nette, mais pas brutale: entre les deux, -hasard ou nécessité- il y a un espace qui marque le passage, silence entre deux rythmes différents. C'est comme une clairière, liberté et lumière en contraste avec l'ombre touffue. Une porte de ville aujourd'hui c'est cela : un élément urbain localisé, fort et distinct, qui matérialise une transition entre des zones bien différenciées, et pas nécessairement une reproduction des portes d'antan, plus ou moins mise au goût du jour.


Un arrêt de tram et une petite aire de parcage opèrent ici la transformation du citadin en promeneur.

C'est, sur l'avenue de Tervuren, une clairière, une porte et une croisée de chemins.

Le groupe de sculptures développe le thème de la différence.

Ville et forêt, ombre et lumière, mouvement et contemplation, on trouve déjà dans le site l'ébauche conceptuelle d'oppositions sur lesquelles Thérèse Chotteau composera sa série sculpturale. La Quadrature de l'Arbre s'inscrit dans une tradition de sculpture monumentale disséminée dans l'espace.

L'axe vient en premier, comme repère central de l'espace linéaire de l'avenue. Au lieu d'encadrer cet axe comme il est d'usage dans la tradition classique des pylônes, des arcs triomphaux, ou des Atlantes, Thérèse Chotteau le scande en alignant ses figures sur son tracé même. C'est qu'elle veut marquer l'entrée de l'avenue en prenant en compte le lieu qui en est déjà lui-même signal effectif, et qui est cette clairière.
Deux groupes se répondent par-delà cet espace.


Projet 1992, Thérèse Chotteau, première maquette, plâtre brut.

Quatre figures, rigoureusement implantées sur l'axe courbe de l'avenue, avec un développement total de plus de 40m, vont tirer un maximum de cette hypothèse spatiale simplifiée. Entre elles s'établissent de multiples modulations de l'élan, de l'attente, de la tension. D'autres jeux sur le sens des positions relatives ajoutent leurs accords, construisant un édifice du vide aux proportions et aux symétries subtiles. Et les oppositions s'ordonnent aussi dans l'espace métaphorique des substances et des formes adverses: l'humain et l'inanimé, le minéral et le végétal, l'Euclidien et le fractal, l'épure et la texture, la masse et la couleur, le volume et la lumière. L'arbre et le parallélépipède, dans une figuration plus symbolique que naturaliste, reprennent sur un mode mineur l'opposition des deux ordres formels de la ville et de la nature.


Projet 1992, Thérèse Chotteau, esquisse, encre sur papier.

Les abords: amplification du theme sculptural.

Pour le traitement architectural des abords, dont elle savait l'importance, Thérèse Chotteau a choisit de s'assurer des conseil de Thierry Gonze, architecte et ingénieur.

L'aménagement du site vise, par les moyens les plus simples, à amplifier le motif poétique des différences entre la ville et la forêt, entre le minéral et le végétal. L'idée de départ est une transcription de l'idée de hiatus dans une topologie linéaire. Cela se présentait un peu comme le principe du synapse, le vide mettant en contact deux nerfs, en neurologie.

Cela se concrétisait par une modification du relief naturel portant l'assise des sculptures au même niveau, de part et d'autre d'une trouée. Les caractères importants de ce schéma, qui ont été conservés, sont ceux-ci: la symétrie n'y est pas absolue, le traitement formel de chacune des extrémités reflétant son appartenance à un monde différencié: architectural du côté de la ville, et plus organique du côté de la forêt. Et plus important sans doute, la forme de la césure: elle se présente comme une interruption simple de l'avenue; elle lui est perpendiculaire, c'est-à-dire d'orientation neutre par rapport à celle de l'axe, le principe n'étant pas parasité par celui d'une direction secondaire.

La configuration réelle du sité était en contradiction avec ces intentions. Dans la mission habituelle des architectes accompagnant l'intervention d'un plasticien, la règle était qu'il ne fallait s'occuper que du dessin des socles et des abords immédiats, sans inerférer dans les problèmes sérieux de voirie, réservés aux ingénieurs.

Mais ici Thérèse Chotteau et la C.A.I.D ont choisi d'assumer avec l'architecte une exploration des possibilités de saisir l'occasion de l'événement plastique pour donner un sens nouveau à l'espace urbain sous tous ses aspects. Nous avions fait deux propositions : la proposition n°1 conservait l'essentiel du tracé des voiries :

La proposition n° 2, elle, incluait une modification de la voirie dans le sens d'un retour au classicisme originel de l'avenue : donner à la traversée par les automobiles le caractère d'une connexion simple des deux parties de l'avenue. Les contraintes de l'accès à la chaussée en dicteraient le positionnement, mais sans déformation. Il fallait recueillir et stabiliser l'espace au départ de l'axe dynamique de l'avenue dans une position neutre, celle de la perpendiculaire.

Le carrefour redeviendrait ainsi un lieu avec une qualité architecturale, et pas seulement un dispositif de circulation destiné à favoriser le flux automobile, les deux choses n'étant d'ailleurs pas nécessairement contradictoires. Le tracé semblait suggérer davantage la vitesse qu'un comportement de conduite urbain; à présent le message implicite aux automobilistes d'un changement de contexte et de la nécessité d'adopter une conduite plus prudente est immanquable.

Un certain nombre d'autres modifications communes aux deux propositions étaient présentées : regroupement des circulations lentes à la hauteur de l'arrêt de tram, mise en conformité du tracé des bandes de circulation avec les flux effectifs, réduction de la signalisation au strict nécessaire, et remplacement d'un luminaire central unique par un dispositif périphérique.

Grâce au soutien de la C.A.I.D. et des autorités politiques, les artistes ont eu la satisfaction intense de voir la proposition n°2 acceptée et réalisée pour l'essentiel.

Les socles.

Les socles proprement dits ont été conçus en accord avec le parti fondamental de différentiation formelle.

La figure côté ville et son socle de bronze sont posés sur une terrasse au caractère géométrique régulier, résonance amplifiée du cube et finale élaborée de l'allée centrale de l'avenue.Quelques gradins mènent à la terrasse, bordure de pierre bleue en carré de 10.80m de côté, établissant le plan horizontal et délimitant la végétation sous sa forme la plus soumise, celle de la pelouse.

De l'autre côté, c'est la terre elle-même, le sol, qui se plisse et vient porter les trois figures alignées de l'arbre, de la femme et du monolithe au niveau de leur vis-à-vis. C'est un talus à pente douce, dont la crête est un chemin incurvé exactement sur l'axe de l'avenue, et qui se perd vers l'arrière dans les taillis où son niveau rejoint celui du sol.

Renseignements pratiques:

Emplacement: Avenue de Tervuren, carrefour du Rouge-Cloître à Auderghem. (Voir plan)
Réalisation : décembre 1992 - mai 1995.
Inauguration : 2 juin 1995.
Commanditaire de l'étude d'urbanisme : Thérèse Chotteau, sculpteur.

 

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